Tout le monde connaît ou, à tout le moins, a entendu parler de Jack l’Éventreur, qui sévit à Londres entre le 31 août et le 9 novembre 1888 et auquel les spécialistes s’accordent à attribuer cinq meurtres, à tout jamais impunis. Or, entre mai 1887 et septembre 1889, quatre autres crimes effroyables ont eux aussi tenu en échec les limiers de Scotland Yard. Ils ont été commis par un énigmatique assassin, demeuré dans les annales de la criminologie sous le nom de « Torso Killer », le « Tueur au Torse », car il avait la fâcheuse habitude de découper en morceaux ses victimes – exclusivement des femmes – et d’en semer les débris à travers la ville. Ainsi, à la fin des années 1880, deux serial killers différents sévissaient, en même temps, sur les bords de la Tamise.

Dans l’un des rares ouvrages consacrés au Torso Killer (The Thames Torso Murders of Victorian London, McFarland & Company, 2002), son auteur, R. Michael Gordon, avance l’hypothèse que le tueur aurait perpétré son premier crime à Paris, en novembre 1886, déposant les différentes parties du corps démembré d’une inconnue à plusieurs endroits du XIVe arrondissement, en particulier à l’intérieur d’une vespasienne devant l’église Saint-Pierre-de-Montrouge. Or, après quelques recherches sur Internet, il s’avérait que très peu d’informations circulaient sur ce soi-disant meurtre préliminaire. Même la date prêtait à confusion : en réalité, il ne s’agissait pas de novembre 1886, comme l’écrivait R. Michael Gordon – qui, en cela, ne faisait que répéter une erreur commise par quelques journaux français au moment des meurtres de l’Éventreur –, mais d’août 1886.

Qu’en est-il donc du mystère de Montrouge ? Ce crime était-il vraiment le coup d’essai du « monstre » qui allait sévir dans la capitale britannique quelques mois plus tard ? Et ne serait-ce pas le même individu qui en 1892, de retour à Paris après son carnage londonien, aurait perpétré un ultime massacre rue Botzaris, à proximité du parc des Buttes-Chaumont ? Pour cela, une minutieuse enquête s’avérait nécessaire. En voici les résultats.


Ce dossier a été rédigé sous la forme de trente articles. Les six premiers décrivent le fonctionnement du service de la Sûreté parisienne à la fin des années 1880. Les suivants relatent le mystère de Montrouge et celui de la rue Botzaris, en faisant un détour par Londres pour se pencher sur les crimes du Torso Killer et, accessoirement, ceux de Jack l’Éventreur. Quant aux derniers, ils révèlent l’identité du Tueur au Torse. Plus de 130 ans après les événements, il était temps que la vérité éclate enfin au grand jour.


01. La Sûreté au 7 quai de l’Horloge


« Ancienne préfecture de police, rue de Jérusalem », par Pierre Ambroise Richebourg, 
vers 1850-1854. Source : Bibliothèque de l'Institut National d’Histoire de l’Art,
collections « Jacques Doucet » (pour consulter les 17 autres clichés, cliquez ici).
Depuis 1816 : la Préfecture de Police est établie cour de Harlay, dans l’ancien hôtel de la Présidence (hôtel du Parlement). Comme l’une des entrées se fait par la rue de Jérusalem (approximativement à l’emplacement de l’actuel n° 34 du quai des Orfèvres), la Préfecture de Police est souvent désignée par le nom de cette rue.

1854 : dans le cadre de la construction du nouveau Palais de Justice, les maisons sur la rue de Harlay sont expropriées et vidées de leurs occupants.

1856 : chassée de la cour de Harlay et de l’hôtel de la Présidence par l’agrandissement du palais de justice, la Préfecture de Police est installée dans les immeubles de la rue de Harlay. Elle fait établir des arches aux trois entrées (place Dauphine, quais de l’Horloge et des Orfèvres) pour faire de la rue une sorte de cour.

1857 : la démolition des vieilles constructions de la cour Lamoignon, de la rue Basville et de la cour du Harlay est commencée. Chaque jour les employés quittent les anciens bâtiments pour s’installer dans les nouveaux bureaux, où sont déjà, du côté de la place Dauphine et dans les maisons de la rue du Harlay, les bureaux des Passeports, des Hôtels Garnis, du Personnel, la police municipale, le service de Sûreté, le service des Poids et Mesures, le bureau de Permanence, etc.

1867 : la cour de cassation, sur le quai de l’Horloge, est inaugurée le 4 novembre (même si elle n’est pas entièrement achevée intérieurement) ainsi que les nouvelles salles de la cour d’assises et la nouvelle salle des pas-perdus (aujourd’hui, vestibule des Assises ou vestibule de Harlay).

1868-1870 : alors que la façade monumentale du palais de justice côté ouest est presque achevée (il lui manque son grand perron, dont les travaux commencent en 1869), on s’active à terminer la construction de la nouvelle Préfecture de Police sur le quai des Orfèvres. Une première partie ayant été livrée vers janvier 1870, les fonctionnaires de la Préfecture commencent à déménager, quai des Orfèvres, en particulier le service des Archives.

1870 : la guerre franco-prussienne, déclarée le 19 juillet, et ses suites insurrectionnelles, vont surseoir à l’installation des services dans la nouvelle Préfecture. À la fin de la Commune, la cour de cassation est partie en fumée, tout comme la nouvelle Préfecture. La nouvelle salle des pas-perdus et la façade principale (bâtiment des assises), qui se trouvent entre les deux, sont épargnées par les flammes. Les archives de la sûreté sont elles aussi parties en fumée.

« Palais de justice, cour de cassation », par Bruno Auguste 
Braquehais, 1871. Source : bibliothèque nationale du Brésil.

1871 : suite à la destruction de la nouvelle préfecture, les services centraux de la Préfecture de Police, en particulier le cabinet du préfet, sont déménagés dans l’un des deux hôtels de la récente caserne de la Cité. Après avoir passé quelques jours entassé dans les sous-sols du quai d’Orsay, le service de la Sûreté est installé au 7, quai de l’Horloge, juste au-dessous de la salle d’audience de la cour de cassation, dans le voisinage du dépôt, à proximité des cabinets des magistrats, substituts, et juges d’instruction avec lesquels les enquêteurs travaillent en permanence. Épargné par l’incendie, sur la pointe nord du palais de justice, l’endroit combine pièces obscures, WC « ouverts à tout venant » et couloirs encombrés de casiers et d’armoires, le tout baignant dans une odeur prégnante de gaz d’éclairage. Les travaux ayant été plus longs que prévu, la Préfecture de Police aura occupé la rue de Harlay de 1856 à 1871.

1871-1872 : les immeubles sur le côté droit de la rue de Harlay (numéros impairs) sont démolis pour l’achèvement de la construction du grand perron, dont les travaux ont été interrompus à cause de l’Insurrection, et qui doit accompagner la façade monumentale du nouveau Palais de Justice.

1874 : les derniers services de la Préfecture (Passeports et Garnis) qui s’accrochaient encore place Dauphine sont déménagés, et les immeubles sur le côté gauche de la rue de Harlay (numéros pairs), qui fermaient la place, disparaissent pour dégager la vue sur le nouveau Palais.

1878 : fin du gros œuvre pour le bâtiment sud du Palais de Justice, en pierre de taille et sur cinq étages, normalement dévolu aux services de la Préfecture de Police. Cependant, sommé d’avaliser l’emménagement dans les locaux reconstruits, le préfet Félix Voisin refuse, préférant rester dans la caserne de la Cité (construite entre 1863 et 1867).

1882 : après six mois d’incessantes réclamations, Gustave Macé, qui a pris ses fonctions de chef de la Sûreté en 1879, est le premier à voir son cabinet installé au deuxième étage du 36, quai des Orfèvres, dans une « vaste galerie  éclairée par un bec de gaz ». Avec lui, et au milieu des gravats, emménagent divers services : Passeports, Permis de chasse, Garnis, Livrets, Sommiers judiciaires, Délégations spéciales, Archives, deuxième bureau de la première division (individus arrêtés). Une partie de la Sûreté s’installe sans doute à cette adresse (« brigade du chef »), mais il semble que le gros du service, de même que la section des Mœurs, soient demeurés quai de l’Horloge. Son successeur, Louis Kuehn, a lui aussi occupé le cabinet du 36, quai des Orfèvres.

Le Figaro, supplément littéraire du dimanche
édition du 11 octobre 1913 (page 4). 
Source : bibliothèque nationale de France.
1885 : à la mort de Kuehn d’une crise cérébrale dans son bureau, le nouveau chef de la Sûreté, Ernest Taylor, choisit de réintégrer le 7, quai de l’Horloge. Son but était surtout de plaire à M. Caubet, le chef de la police municipale (et son supérieur hiérarchique), dont ses deux prédécesseurs avaient cherché à s’affranchir.





Histoire du 36 illustrée de Claude Cancès 
et Charles Diaz, Mareuil Éditions, 2017.
1888 : le 19 avril, le cabinet du chef de la Sûreté est définitivement établi au 36, quai des Orfèvres. Selon Claude Cancès et Charles Diaz, la « brigade du chef » occupe « l’aile sud du quatrième étage du 36, quai des Orfèvres, avec comme voisin immédiat, juste au-dessus d’elle et sous les combles, le service d’identification anthropométrique ». Dirigé par Alphonse Bertillon, le service d’identification anthropométrique a été créé deux mois plus tôt et le service judiciaire photographique déjà existant y a immédiatement  été rattaché. Au fur et à mesure de son développement, le service s’étend sous les combles du Palais de Justice, « dans un dédale de greniers, de couloirs, de soupentes, de passerelles et d’échelles » entre le quai de l’Horloge et le quai des Orfèvres.


Le Temps du 20 avril 1888 (page 3). Source : bibliothèque nationale de France.

03. Vue générale des services de la Préfecture de Police en 1886

Palais de justice depuis le quai de la Mégisserie, façade ouest, 1878, anonyme. Source : Ville de Paris / BHVP.

En grossissant au niveau du 7, quai de l’Horloge, on aperçoit parfaitement la porte cochère donnant accès à la cour de l’Infirmerie. Un sergent de ville est en faction devant sa guérite.


Plan du rez-de-chaussée du Palais de Justice de Paris, par Honoré Daumet, architecte du Palais, 1895. Source Ordre des avocats de Paris.

Plan de l’entresol du rez-de-chaussée du Palais de Justice de Paris, par Honoré Daumet, architecte du Palais, 1895. Source : Ordre des avocats de Paris.

04. Le bureau de la Permanence

Librairies-Imprimeries réunies, 1892, p. 233.
Entrée du fourgon dans la cour du Dépôt par le 3, quai de l’Horloge (le groupe va être conduit, sous le porche, dans le bureau de la Permanence).











Source : Paris Musées / Musée Carnavalet.
Ci-contre, entrée du bureau de la Permanence, vue depuis la cour du Dépôt, par Albert Brichaut, vers 1880.



05. Entrée du Dépôt de la Préfecture de Police

Source : Paris qui souffre : Les prison de Paris
et les prisonniers, d’Adolphe Guillot, E. Dentu Éditeur,
1890, p. 177
.
Vue de la cour du Dépôt et de l’Infirmerie spéciale depuis le porche du 3, quai de l’Horloge (au fond, l’arche donnant sur la cour Saint-Martin et l’entrée du Dépôt).


Source : Paris ignoré, de Paul Strauss,
Librairies-Imprimeries réunies, 1892, p. 242.

Vue du côté oriental de la cour du Dépôt, sous les fenêtres de la Chambre criminelle (1er étage). Les prostituées font la queue pour se présenter devant le médecin du Dispensaire.

Aquarelle de Jules Férat, 1884, coll. privée.

Fourgon cellulaire dans la cour Saint-Martin, devant la porte du Dépôt de la Préfecture de Police. À droite, en arrière-plan, on aperçoit le porche du 3, quai de l’Horloge, au bord de la Seine. 

Source : Ville de Paris / BHVP.
Entrée du fourgon dans la cour Saint-Martin, devant la porte du Dépôt (vue similaire à la précédente, mais avec plus de recul).





Voiture cellulaire devant l’entrée du Dépôt de la Préfecture de Police, par Albert Brichaut, vers 1880. 

06. Galerie de l’Horloge

Plan parcellaire municipal de Paris (fin XIXe) du 16e quartier, disponible sur le site des Archives de Paris (après la mise bout à bout de la feuille cote PP/11884/B et de la feuille cote PP/11884/C).
Sur cette portion reconstituée du plan parcellaire municipal de Paris, on distingue la galerie de l’Horloge, à laquelle on accède par les numéros 3 et 7 du quai de l'Horloge, côté extérieur (Seine), et par la cour de l’Infirmerie et celle du Dépôt, côté intérieur.

Source : Paris ignoré de Paul Strauss, Librairies-Imprimeries réunies,
1892, p. 226
.

Grâce à ces deux illustrations, on peut se représenter les deux extrémités de la galerie de l'Horloge, laquelle permettait de relier, côté cour du Dépôt et cour de l’Infirmerie, les divers services situés au rez-de-chaussée des numéros 3, 5 et 7 du quai de l’Horloge.
Sur le dessin ci-dessus (dessin : Pierre Méjanel / gravure : Rougeron-Vignerot), on aperçoit l’entrée du Dispensaire, à l’extrémité orientale de la galerie
  
Sur le dessin ci-dessous, exécuté par Albert Bellenger, on peut voir l’entrée du service de la Sûreté parisienne, situé dans le vestibule (porte droite) du 7, quai de l’Horloge, à l’extrémité occidentale de la galerie. 


Source : L’Illustration n° 2471, du 5 juillet 1890, « La police de sûreté
par Georges Grison et Édouard Philippe »
.
 

Il s’agit là d’une des rares représentations de l’entrée du service de la Sûreté à l’époque où celui-ci était installé au 7, quai de l’Horloge. Vu la date de publication de ce dessin dans L’Illustration (05/07/1890), il pourrait sembler logique, au premier abord, de penser qu’il dépeint l’entrée du 36, quai des Orfèvres, le service ayant déménagé à cette nouvelle adresse en avril 1888. Cependant, les dimensions des deux battants, la forme de la corniche et l’absence des deux colonnes encadrant l’entrée des bureaux de la police au « 36 » [voir cette vidéo à la 47e seconde] laissent à penser que le journal a visiblement commis un anachronisme. Certes, le dessin met bien en scène Marie-François Goron, chef de la Sûreté depuis le 14 novembre 1887, mais il le représente posté à l’entrée de l’ancienne adresse de son service. Du reste, on notera la similitude (encadrement, corniche, proportions) entre l’entrée de la Sûreté et celle du Dispensaire telle qu’elle apparaît sur le dessin de Pierre Méjanel.

07. Mystère de Montrouge : les protagonistes


Les personnalités au pouvoir en 1886


Président de la République : Jules Grévy (1807-1891). Président de la Troisième République depuis le 30 janvier 1879 jusqu’au 2 décembre 1887 (réélu en 1885).

Président du conseil : Charles de Freycinet (1828-1923). Il fut président du conseil des ministres et ministre des Affaires étrangères du 7 janvier au 3 décembre 1886.

Ministre de la Guerre : Georges Ernest Jean-Marie Boulanger (1837-1891)

Ministre de l’Intérieur : Jean Marie Ferdinand Sarrien (1840-1915)

Ministre des Finances : Sadi Carnot (1837-1894)


Les seconds rôles du drame


Préfet de police : Arthur Gragnon (1844-1914).

Ernest Taylor. Source inconnue.
Chef du service de la sûreté : Ernest Taylor (1839-1908)

Chef de la police municipale de Paris : Jean-Marie-Lazare Caubet (1822-1891)

Procureur de la République : Octave Bernard, domicilié au 124, rue de Rivoli.
« M. Octave Bernard est à la fois le plus doux des hommes, et le plus ferme des magistrats. Tout le monde a rencontré, tout le monde a remarqué, depuis quinze ans, dans Paris, cette figure brune, éclairée par de grands yeux attentifs et par un sourire avenant, vraie physionomie de méridional, que n’ont pu parvenir à, pâlir les longues heures passées à l’ombre de l’audience. » [Le Matin du 26 juin 1899]
Gaston Laurent-Atthalin. Photo Antoine Meyer.
Juge d’instruction : Gaston Laurent-Atthalin (1848-1912), domicilié au 8, rue la Boétie.
« Pendant ses treize années d’instruction, ce sera l’honneur de sa carrière, M. Laurent-Atthalin eut à accomplir un labeur considérable, non seulement considérable par le nombre des affaires qu’il eut à suivre, mais aussi par les difficultés d’ordre souvent spécial ou les côtés délicats que présentèrent certaines de ces affaires. Il eut à instruire de gros crimes et des drames mondains ; il eut aussi à venir à bout de retentissantes informations touchant à la politique. Nous citerons au hasard de la mémoire et sans ordre l’affaire Ravachol, puis la série des tragiques explosions qui suivirent l’exécution du redoutable anarchiste ; l’explosion de la caserne Lobau, celle du restaurant Véry, celles encore du commissariat de la rue des Bons-Enfants et de la préfecture de police. Ce furent les affaires Turpin, du marquis de Mores et de quelques-uns de ses amis (provocation à des attroupements) et de la Ligue des patriotes. Ce furent encore l’affaire des décorations (Caffarel, d’Andlau, Wilson, etc.) et celle de fabrication et de détention de machines ou engins meurtriers dans laquelle furent impliqués dix-huit révolutionnaires russes (Lavremus, Dobrenovitch, Mendelson, etc.). » [Le Temps du 27 septembre 1912]
Commissaire de police : Georges Percha, commissariat du Petit-Montrouge sis au 68, avenue d’Orléans.
« M. Percha, commissaire de police du quartier de la Santé et du Petit-Montrouge, est mort hier matin, à huit heures et demie, après une courte maladie. Il était âgé de cinquante-sept ans. M. Percha était entré dans l’administration de la préfecture de police, comme secrétaire suppléant, le 11 mars 1867, au moment où il venait de terminer son service militaire. Officier de paix le 26 juillet 1873, il fut nommé le 6 août 1879 commissaire de police du quartier de la Goutte-d’Or. En 1884, le 12 mars, il passa au commissariat de la Santé. M. Percha laisse un fils qui est secrétaire au commissariat du quartier de l’Europe et une fille âgée de dix-huit ans. » [Le XIXe siècle du 25 février 1894]
Officier de paix : M. Féger, poste de police (poste central) de la mairie du XIVe arrondissement.

Greffier de la morgue : M. Clovis Pierre (prénom : Clovis) en fonction entre 1878 et 1892.

Inspecteur principal (de la Sûreté) : Pierre Gaillarde en fonction entre 1878 et 1892.

Brigadier (de la Sûreté) : Paul Fortuné Jaume, en fonction depuis 1881 (inspecteur de première classe), passé brigadier en 1885 et devenu inspecteur principal en 1888. Quitte la Sûreté en 1895 pour ouvrir un cabinet de police privée avec un autre ex-inspecteur de la Sûreté, le dénommé Prince.

08. Mystère de Montrouge : le décor

Le quartier dit du « Petit-Montrouge » est le 55e quartier administratif de Paris, situé dans le XIVe arrondissement. Il a été créé en 1860 au moment de l’annexion par la capitale d’une partie de la commune de Montrouge. Celle-ci était à l’origine divisée en deux secteurs distincts, le Grand-Montrouge – correspondant à l'actuelle commune de Montrouge – et le Petit-Montrouge, qui a donc été « absorbé » par Paris et en est devenu un quartier à part entière, délimité par la rue Daguerre et le boulevard Saint-Jacques au nord, par la rue de la Tombe-Issoire à l’est, le boulevard Romain-Rolland au sud, l’avenue de la Porte-de-Châtillon, la rue des Plantes et la rue Gassendi à l’ouest. 
Par conséquent, la dénomination « mystère de Montrouge » est trompeuse : c’est bien dans la partie « parisienne » de l’ancienne commune montrougeoise que le criminel a opéré. Dans la carte ci-dessous, la délimitation du quartier a été signalée par des lignes pointillées. En outre, si le premier paquet découvert dans l’urinoir de l'avenue d’Orléans, sur le côté oriental de l’église Saint-Pierre-de-Montrouge, se trouvait exactement au cœur du quartier du Petit-Montrouge, le deuxième paquet (rue d'Alésia, quelques mètres après le carrefour avec la rue des Plantes) et le troisième paquet (rue Giordano Bruno) étaient situés légèrement en dehors du périmètre, dans le quartier voisin de Plaisance.


« Plan cadastral de la ville de Paris… établi d’après les documents officiels les plus récents et comprenant l’Exposition universelle de 1900 », par Mme Max Mabyre (date d’édition : 1898). Source : bibliothèque nationale de France.

Il est à noter que le terme de « vampire » pour désigner l’auteur de l’horrible crime de Montrouge n’a pas été utilisé par les rédacteurs de presse de l’époque. Il faudra attendre 52 ans avant de le trouver dans un article de l’hebdomadaire Détective daté du 21 avril 1938 (page 4).

Voici le passage en question :
« Le 5 août 1886, un tronc, deux bras et deux jambes de femme furent ramassés dans des urinoirs, avenue de Montrouge et rue d’Alésia, Ces débris étaient nus. Les intestins, les seins et les parties sexuelles de l'inconnue dépecée avaient été arrachés du tronc avec une férocité inouïe. Comme toujours la tête manquait et, en dépit des recherches actives du chef de la Sûreté, Goron [sic], que stimulait l’émotion du public, le « vampire de Montrouge » demeura introuvable et sa victime, morceaux de chair anonymes que ne surmonta pas, cette fois, à la Morgue, un visage de cire, ne fut jamais identifiée. »
Le rédacteur a commis une erreur en désignant Marie-François Goron chef de la Sûreté en charge de l’enquête. C’est Ernest Taylor qui occupait ce poste. En août 1886, Goron était encore commissaire à Pantin. Devant l’insuccès du service de M. Taylor, et face aux nombreuses critiques qui fusaient dans la presse, Goron fut nommé sous-chef de la Sûreté au mois de septembre, soit quelques semaines après le début de l’affaire.


Plan parcellaire municipal de Paris (fin XIXe) du 55e quartier (feuille cote PP/11858/B). 
Les numéros indiquent l’ordre de la découverte des trois paquets tandis que les flèches 
rendent compte du parcours probable du meurtrier durant cette nuit du 3 au 4 août.